Vers une nouvelle crise des CDS sur des dettes publiques?

Fin avril 2009, le monde est plongé dans la crise économique réelle, conséquence de la plus grave crise financière depuis 1929. Comment en est-on arrivé là? Depuis les années 1990, la dérégulation de la finance, l’assouplissement des normes comptables et la bienveillance des gouvernements ont permis une explosion du volume de crédit. La croissance mondiale et a fortiori celle des États-Unis d’Amérique reposent principalement sur le développement des prêts. Fin 2008, le monde a frôlé l’écroulement global du système financier, avec pour point de départ apparemment peu de choses: l’insolvabilité de ménages américains modestes, piégés par le retournement du marché de l’immobilier. Comment expliquer cet « effet papillon » ?

Pour comprendre ce mécanisme, la solution réside dans l’étude du principe de titrisation des créances, dont celles dites « subprimes », et à leurs mécanismes d’assurance, principalement les CDS, « credit default swap ».
Doit-on voir cette « crise des subprimes » comme un incident de parcours, dans une économie mondiale dopée par les innovations technologiques et l’émergence de nouvelles hyperpuissances, ou bien comme les prémisses d’une crise plus grave?
Pour y répondre, il est nécessaire d’étudier en détail les CDS, c’est-à-dire leur impact dans la crise actuelle (I), et la menace future qu’ils représentent (II).

I- Les CDS, démultiplicateurs de la « crise des subprimes »
Les CDS ont amplifié la crise des subprimes en raison de l’effet de levier inhérent à la titrisation des créances. Il faut donc d’abord définir ce qu’est un CDS, et d’autre part étudier leur impact dans la crise des institutions financières actuelle.
A- La définition des CDS par rapport aux autres dérivés de crédit.
Les dérivés de crédit permettent de se couvrir contre le risque de défaut des contreparties. Il existe de nombreux dérivés de crédits, mais les deux principaux qui ont eu un impact dans la crise sont les CDOs et les CDS.
1- Définition des CDS.
Un CDS est un produit financier élaboré sur la base d’un crédit: un contrat de gré à gré transférant le risque et les intérêts d’un crédit, en l’échange d’une contrepartie, mais sans vendre l’actif. La base, le sous-jacent de ce contrat peut-être une dette, une obligation, ou un « package » de créances. L’acheteur de la protection verse donc chaque trimestre une prime au vendeur jusqu’au moment du défaut de l’emprunteur. En contrepartie, le vendeur de la protection s’engage à rembourser le préjudice subi par l’acheteur au moment du défaut. Les CDS qui posent problème sont ceux qui sont basés sur des créances dépréciées. Définir un CDS est possible, mais en comprendre réellement le fonctionnement l’est beaucoup moins: certains contrats de CDS présentent des dizaines de pages d’explications sur leur fonctionnement, rendant difficile l’appréciation du risque. De plus, il existe des dérivés de CDS…

2- Comparaison par rapport aux CDOs :
Le CDO (Collateralised Debt Obligation) est un titre représentatif de portefeuilles de créances bancaires ou d’instruments financiers de nature variée. Il est émis en différentes tranches de la même façon que l’on titrise une créance. Le CDO offre une protection qui porte sur le défaut de plusieurs emprunteurs. Comme les CDS l’acheteur de ce contrat verse une prime périodique au vendeur en contrepartie. Les risques sont transférés, de même que tout ou partie des revenus. Le CDS est un dérivé de crédit non adossé à des actifs, tandis que le CDO est adossé à des portefeuilles de crédit titrisés: ce sont des obligations adossées à des prêts immobiliers.
De même que pour les CDS, il existe des CDOs de CDOs.

B- L’impact des CDS dans la crise financière :

Néanmoins, pour comprendre l’impact de la crise des CDS dans la grande dépression financière, il est nécessaire de s’attarder sur deux institutions financières symboles de cette crise: Lehman Brothers et AIG, dont la faillite du premier a mis en péril le second.

1- La faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers.
Une bonne demi-douzaine de banques et compagnies d’assurances ont envoyé des signaux de détresse, aboutissant à leur quasi-nationalisation. Mais les instances dirigeantes n’ont pas voulu payer pour Lehman Brothers, voulant implicitement faire un exemple. Jusqu’à sa faillite, Lehman Brothers était le leader sur le marché des CDS.
Le 6 septembre 2008, Lehman Brothers révèle détenir 85 milliards d’actifs toxiques, dont 57 de dérivés de subprimes. Le 15 septembre, la faillite de Lehman Brothers a contraint à la liquidation de ses actifs, dont les CDOs et les CDS, fixant au plus bas leur valeur, et, en raison des nouvelles normes IFRS, contraignant également toutes les autres institutions financières à valoriser immédiatement leurs propres actifs à ce niveau, et déclenchant la crise qui couvait depuis plusieurs trimestres, en raison de la spéculation sur la titrisation des subprimes.

2- Le gouffre abyssal de la compagnie d’assurance AIG.

La faillite de Lehman Brothers  a, par effet de vase communiquant, plongé AIG au bord du gouffre, augmentant sa perte cumulée à 30 milliards. Dans un premier temps, la FED injecte 85 milliards de dollars qui vont vite apparaître insuffisants. Ensuite, le plan Paulson alloue 123 milliards de dollars pour renflouer AIG. Ensuite, par plusieurs fois AIG tira la sonnette d’alarme pour obtenir des prêts de la FED. Au total, 175 milliards de dollars ont été prêtés à AIG comme sauvetage. Le feuilleton à rebondissements AIG semble être clos, mais la compagnie s’est permis de distribuer des bonus à ses dirigeants.
II) les CDS épée de Damoclès sur la finance mondiale?
Le danger des CDS est toujours réel et conséquent, semblant même créer une bulle financière avec les ajustements des gouvernements.
A- le danger des CDS toujours réel.
Il est d’abord nécessaire d’évaluer l’étendue de ces créances, avant d’étudier l’impact du G20 sur ce danger.
1- les avoir toxiques du secteur financier encore estimé à des montants exorbitants.
Le montant global des CDS est difficile à évaluer, malgré deux grandes méthodes ad hoc (approche structurelle et la forme réduite). Toutefois, les estimations des CDS sont comprises entre 3000 et 6000 milliards de dollars. Toutes les estimations du volume des CDS sont astronomiques, mais variant parfois du simple au double en l’absence d’une estimation officielle de leur montant global.
Le FMI pour sa part s’est risqué à une estimation au début du mois d’avril, en l’augmentant à 4 000 milliards de dollars. Quatre mois auparavant, en Janvier, le volume des CDS était évalué à 2000 milliards de dollars par cette même institution.
2- Le G20 d’avril ne résout pas le problème des CDS.
Les CDS constituent l’urgence de court terme, mais le sommet du G20 s’est principalement penché sur la relance de l’économie mondiale, sur l’encadrement des paradis fiscaux. Les différents gouvernements n’ont trouvé d’autre solution que de sampler le plan de Gordon Brown: injecter indéfiniment de l’argent dans le système financier en l’échange de prises de participations.
Les sommets du G20 n’ont aucunement mis l’accent sur le problème des CDS. Pire, les différents correctifs et perfusions dans la finance mondiale semblent revigorer l’intérêt des acteurs financiers pour les CDS, au lieu de circonscrire l’incendie.

B- vers une bulle des CDS?
Par l’action combinée du plan de relance du secrétaire américain au Trésor et de l’entrée en vigueur de nouvelles normes comptables, émerge un marché des produits dérivé, très intéressant, car il permet de profiter d’un fort effet de levier (une mise minimale pour un maximum de gains). Les institutions financières vendent très cher des titres qui reposent parfois sur du vent, pour en racheter d’autres, plus chers, encore. Il semble donc se former une bulle des CDS qui n’est pas incompatible avec l’effet « patate chaude »: certaines créances pourries sont vendus et revendus, car on les sait très dangereuses.

1-  La reprise du marché fleurissant des CDS avec le plan Geithner.
Le pari du secrétaire américain au Trésor de Georges Bush est d’établir un partenariat public-privé pour racheter les CDS.
Pour inciter les acteurs privés à rachetés des actifs risqués, ce plan met en place les conditions de leur revalorisation par l’injection massive de liquidités dans les institutions financières.
Actuellement, elles se servent donc des prêts consentis par la FED pour spéculer sur les actifs toxiques. L’argent public sert à faire des profits privés, posant le problème de la moralité du plan de relance.

2- La reprise du marché fleurissant des CDS avec les nouvelles normes comptables.
Les nouvelles normes comptables permettent aux banques de valoriser les CDS à un prix artificiellement élevé: à la valeur du marché, afin de regonfler le bilan des banques. Les institutions financières qui spéculent sur les CDS peuvent par conséquent faire gonfler la valeur de dérivés dont le sous-jacent est défaillant.
Ce regonflement réglementaire des actifs toxiques, dont en grande partie les CDS, n’incite pas les institutions financières à faire le tri dans leurs actifs entre les actifs sains et ceux toxiques. De plus, la nouvelle réglementation va même contraindre de valoriser un CDS au prix du marché, alors qu’il repose sur du vent: les hypothèses sous-jacentes sont très incertaines. Pour essayer de faire une métaphore, au lieu de différencier le bon grain de l’ivraie dès le départ, on va permettre la germination du mauvais grain, qui va ensuite contaminer le bon. Il est actuellement très difficile de différencier les produits toxiques des produits sains. La spéculation et le « rempaquetage » des CDS ne va t-ils pas rendre cette distinction quasi impossible? Le brouillard s’épaissit…

CONCLUSION
La crise actuelle du néo-libéralisme montre à mon avis les limites de la théorie de la main invisible de Smith: les financiers « initiés » (pour reprendre le terme de J. Attali) tirent parti de la mondialisation, tandis que les inégalités ne cessent de se creuser au niveau mondial et à l’intérieur des États pour 90% de la population. De plus, concernant la gestion de l’avenir, les institutions financières recherchent un profit de court ou moyen terme, qui s’accorde mal avec le développement durable. En tout état de cause, la théorie de la main invisible, socle de la pensée libérale, n’est même pas appliquée: la transparence sur le marché des CDS est inexistante, ce qui démontre la nécessité d’une régulation nationale ou supranationale.
Actuellement, on soigne la crise actuelle est une crise de l’excès de crédit en « arrosant » de crédit, et en « forant » le déficit public, mais je partage l’analyse de Jacques Attali, qui selon moi relève du bon sens: il faudrait créer une institution spécialisée de nettoyage des actifs toxiques tant qu’il en est encore temps, afin de désamorcer la bombe à retardement des CDS. Pour conclure, il serait nécessaire de s’extraire de la dictature de l’immédiateté, prendre le temps de poser un diagnostic fin et sûr sur la crise pour rebâtir un système économique et financier solide grâce à une régulation. C’est à ce prix que l’on construira une société plus juste.
BIBLIOGRAPHIE:
La crise, et après de Jacques Attali.
Le monde d’aprèsune crise sans précédent. de Pigasse et Finchelstein.
Podcasts: argent comptant (28 mars- analyse du plan Geithner).

Articles sur internet (l’express, le monde et libération).

Devoir noté 13/20 par Thami Kabbaj, spécialiste de la bourse et habitué des plateaux télévisés.

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